Les notices peintes de Tauromenion : un catalogue ?

Découvertes au cours de fouilles préventives en 1969, les notices peintes de Tauromenion constituent un témoignage précieux sur la vie culturelle de la Sicile occidentale à l’époque hellénistique et pour l’histoire des bibliothèques grecques.

Présentation de la découverte

Les notices ont été mises au jour lors de la fouille de la citerne I, à l’ouest de la terrasse supérieure du complexe.

La strate supérieure du remplissage de cette citerne contenait un abondant matériel céramique hellénistique et de nombreux fragments d’enduits muraux de différents types. Parmi ces enduits, un ensemble de fragments d’environ 7,5 cm d’épaisseur se distinguaient par une fine couche supérieure de couleur crème claire. Six morceaux — certains jointifs — présentaient les restes d’un long texte peint en rouge, disposé en colonnes.

Des notices biographiques et bibliographiques

Chaque colonne peinte constituait une notice se rapportant à un auteur antique. Quatre sont suffisamment préservées pour permettre un commentaire pertinent (fgts I, IIIA, IIIB et IV).

Fragment I (cl. Zde, wikimedia):
notice consacrée à Callisthène d'Olynthe.

Fragments jointifs IIIA et IIIB (cl. Zde, wikimedia): notices consacrées à  Fabius Pictor (gauche) et Philistos de Syracuse (droite).

Fragment IV (cl. Zde, wikimedia) :
notice consacrée à Anaximandre de Milet.

Cette forme de notices ressemble fortement aux entrées de la Souda, une importante encyclopédie compilée au Xe s. ap. J.-C. Elle présente également de fortes similitudes avec les descriptions antiques qui nous sont parvenues des Pinakes de Callimaque, un catalogue bibliographique de la grande bibliothèque d’Alexandrie en 120 volumes.

La notice sur Fabius Pictor était un peu différente, avec un résumé de son premier livre. Cette variation de la norme adoptée dans les autres notices pourrait s’expliquer par le caractère plus récent ou plus local de cet auteur.

Une influence alexandrine à Tauromenion au IIe s. av. J.-C. ?

Plusieurs éléments ont poussé G. Manganaro à reconnaître dans ces notices une influence alexandrine. La forme même des notices, qui se rapproche des Pinakes de Callimaque, encourage à cette interprétation.

Le rapprochement des notices avec le modèle alexandrin semble faire écho aux liens culturels étroits entre la cour lagide et la Sicile orientale, particulièrement attestés sous le règne de Hiéron II de Syracuse. Ainsi, on trouve à Tauromenion de multiples marques de l’influence lagide : sanctuaire hellénistique de Sarapis, monnaies lagides, etc.

Enfin, la notice de l’historien Callisthène d’Olynthe (fgt I) le présentait comme l’ἐπιστολογράφος d’Alexandre. Ce titre, généralement traduit par « responsable de la chancellerie royale », est bien connu dans la hiérarchie de la cour ptolémaïque. On le retrouve néanmoins également dans d’autres contextes hellénistiques, notamment dans le monde séleucide.

L’organisation des notices, un indice sur le contenu de la bibliothèque ?

Seules les deux notices contigües du fgt III permettent d’observer le classement adopté par le document. La notice consacrée à Quintus Flavius Pictor y précède celle dédiée à Philistos de Syracuse. Ces deux auteurs sont tous les deux connus pour leur œuvre historique, et leurs deux noms commencent par la même lettre de l’alphabet grec : Φ.

Si l’on considère que l’organisation des notices elles-mêmes reflétait l’organisation interne de la bibliothèque, on peut en déduire deux indications :

  • Les fonds étaient vraisemblablement organisés thématiquement. Les notices de Tauromenion permettent ainsi de restituer une bibliothèque contenant des fonds historiques d’une part, des fonds philosophiques d’autre part.
  • À l’intérieur de chaque section thématique, les œuvres étaient organisées alphabétiquement selon le nom de leur auteur : les notices de Fabius Pictor et Philistos se suivaient. Cet ordre alphabétique ne prenait pas en compte le proenomen des auteurs latins (Quintus dans le cas de Fabius Pictor).
    Il semble par contre hasardeux de déduire du fragment III l’absence des œuvres de l’historien Philinos de Segeste. En effet, l’ordre alphabétique n’était que très rarement appliqué au-delà de la première lettre du nom dans les listes grecques, et Philinos pourrait ainsi éventuellement avoir été classé avant Fabius Pictor ou après Philistos.

Bibliographie

  • Battistoni F., 2006, ‘The ancient pinakes from Tauromenion. Some new readings’, Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 157, p. 169-180.
  • Blanck H., 1997, ‘Un nuovo frammento del ‘catalogo’ della biblioteca in Tauromenion’, Parola del Passato 52, p. 241-254.
  • Blanck H., 1997, ‘Anaximander in Taormina’, Römische Mitteilungen 104, p. 507-511.
  • Manganaro G., 1974, ‘Una biblioteca storica nel ginnasio di Tauromenion e il P. Oxy 1241’, Parola del Passato 29, p. 389-409.
  • Manganaro G., 1976, ‘Una biblioteca storica nel ginnasio a Tauromenion nel II sec. a. C.’, in Alföldi (ed.), Römische Frühgeschichte. Kritik und Forschung seit 1964, Heidelberg, p. 83-96.

Référence des notices peintes

  • Fragment I : une colonne, conservée sur 7 lignes, consacrée à l’historien Callisthène d’Olynthe (fin IVe av. J.-C.).
  • Fragment II : petit fragment de 3 lignes. Il concernait un auteur éléen dont le nom est largement perdu ; les éditeurs ont proposé qu’il s’agisse de Paraballon d’Elis, auteur d'une liste des vainqueurs olympiques (début IIIe s. av. J.-C.), ou du philosophe Phaidon d’Elis (début IVe s. av. J.-C.).
  • Fragment III, en deux morceaux jointifs : il s’agit du plus important des fragments, conservant les restes de trois colonnes.
    - La colonne A, sur 14 lignes, est consacrée au Romain Fabius Pictor (seconde moitié du IIIe av. J.-C.), considéré comme le premier historien de Rome.
    - La colonne B, dont 10 lignes subsistent, concerne l’historien Philistos de Syracuse (première moitié du IVe s. av. J.-C.).
    - Seules quelques lettres très effacées attestent la présence d’une troisième colonne à droite.
  • Fragment IV, en deux morceaux jointifs : de la colonne gauche ne sont préservées que quelques lettres.
    Les trois premières lignes de la colonne de droite indiquent qu’elle concernait le philosophe présocratique Anaximandre de Milet (première moitié du VIe s. av. J.-C.).

Auteur

Coqueugniot Gaëlle - avril 2018