La bibliothèque du Ptolemaion dans les inscriptions

Plusieurs inscriptions découvertes à Athènes mentionnent l’existence d’une bibliothèque dans le Ptolemaion entre le dernier quart du IIe s. et le troisième quart du Ier s. av. J.-C.

Les éphèbes athéniens aux IIe et Ier siècles av. J.-C.

L’éphébie athénienne, institution phare de la démocratie athénienne au IVe s. av. J.-C., a connu de profonds changements à l’époque hellénistique, comme l’attestent plusieurs longues inscriptions éphébiques de la période.

Au cours du IIe siècle, elle cessa d’être un prérequis obligatoire pour tous les jeunes Athéniens et sa durée fut rabaissée de deux à une année. L’institution apparaissait alors comme une formation d’élite pour les familles les plus puissantes de la cité, et elle s’ouvrit à des notables non-athéniens.

Les activités imposées aux éphèbes se diversifièrent : outre l’entrainement militaire et la participation aux concours et cérémonies religieuses de la cité, ces derniers suivaient désormais des enseignements littéraires, philosophiques et rhétoriques.

Les éphèbes et le cosmète — le magistrat qui les encadrait — furent également de plus en plus sollicités pour financer les fonctions qui leur étaient dévolues par la cité : sacrifices et offrandes aux dieux, entretien des gymnases, etc.

Les éphèbes athéniens et la bibliothèque du Ptolemaion

Une vingtaine de monuments éphébiques hellénistiques, souvent fragmentaires, ont été retrouvés, pour la plupart dans le secteur oriental de l’agora. Ils enregistraient les décrets de l’assemblée qui honoraient les éphèbes de l’année précédente et leur cosmète. Ces décrets énuméraient avec plus ou moins de détails les activités des éphèbes au cours de l’année : sacrifices aux divinités, participation à des concours, exercices militaires et enseignements dans les gymnases, ... Suivaient les honneurs décernés par la cité — éloges, couronnes et proclamations publiques —, la reproduction des couronnes décernées et la liste des éphèbes.

Plusieurs de ces inscriptions mentionnent, parmi les activités des éphèbes de l’année précédente, leur don d’une centaine de livres à une bibliothèque qui se trouvait dans le Ptolemaion.

La bibliothèque dans les inscriptions antérieures à 88 av. J.-C.

Le décret éphébique le plus ancien qui mentionne une bibliothèque date de l’année 116/115 av. J.-C. Il honorait les éphèbes de l’année précédente pour les services qu’ils avaient rendu à la cité. Parmi ces services, aux côtés de certains déjà mentionnés dans les décrets antérieurs, on voit la mention selon laquelle :


« Ils furent les premiers (à consacrer) cent livres pour la bibliothèque, conformément au décret dont Théodôridès du dème du Pirée a fait la proposition »

κα[ὶ βυ]βλία ἑκα/τὸν εἰς τὴν βυ[βλιοθήκην] πρῶτοι κατὰ τὸ ψήφισμα ὃ Θεοδωρίδης Πειραιεὺς εἶπεν

inscription n°1, l.31-32 (traduction E. Perrin-Salminadayar)


Il s’agit là de la première fois que les éphèbes donnèrent des livres pour la bibliothèque. Loin d’être spontané, ce don était institutionnalisé par un décret, proposé par Théodoridès du Pirée. Il existait donc une bibliothèque liée à l’éphébie au plus tard en 116/5 av. J.-C. La fondation de la bibliothèque pourrait aussi être plus ancienne, et les éphèbes seraient alors venus suppléer à son enrichissement. Dans deux inscriptions du début du Ier s. av. J.-C., il est d’ailleurs rappelé que le don de cent livres à la bibliothèque se faisait « conformément au décret » (κατὰ τὸ ψήφισμα, restitué inscription n°2, l. 25 et n°3, l. 36). Il s’agissait donc d’une charge supplémentaire imposée aux éphèbes par la cité, qui devait se répéter chaque année.

Aucun indice de localisation de cette bibliothèque n’est fourni, mais il apparait très probable que celle-ci correspondait déjà à la « bibliothèque dans le Ptolemaion » (τὴν ἐν Πτολεμαίωι βυβλιοθήκην, inscription n°2, l. 25-26) du décret de 94/93 av. J.-C.

La bibliothèque dans les inscriptions postérieures à 86 av. J.-C.

Les deux autres décrets éphébiques qui mentionnent la bibliothèque du Ptolemaion sont datés des années 47-37 av. J.-C., soit une quarantaine d’années après les inscriptions précédentes. Ils ont été découverts en remploi dans le secteur de l'ancienne église d'Agios Dimitrios Katephoris, 200 m à l'est du marché romain, avec d'autres monuments éphébiques d'époque impériale.

Comment expliquer ce hiatus ? Certes, la majorité des décrets éphébiques n’a pas survécu, et certains sont très fragmentaires. Néanmoins, ce hiatus intervient pendant une période de troubles importants. La ville fut assiégée par les troupes de Sylla en 86 av. J.-C. On ne sait pas si le Ptolemaion fut endommagé lors de ces troubles, mais d’autres édifices furent alors détruits : les gymnases du Lycée et du Cynosarges, le Pompeion dans lequel s’entrainaient les éphèbes, l’odéon de Périclès, les édifices du sud de l’agora. De nombreuses œuvres d’art furent pillées et rapportées à Rome.

Quel qu’ait été le statut de la bibliothèque du Ptolemaion après la destruction d’Athènes, elle est de nouveau attestée dans les années 40 av. J.-C. Le don de livres par les éphèbes se présente sous une forme similaire aux décrets précédents, avec quelques différences :

  • Le don était défini par un décret proposé par Métrophanès. Un nouveau décret avait donc été passé. Peut-être les modalités du don avaient-elles changé. Peut-être le précédent décret était-il tombé en désuétude, par exemple après la destruction ou le pillage de la bibliothèque.
  • Le nombre de livres dédiés par les éphèbes n’est plus forcément précisé. Le nombre 100 reste mentionné dans l’inscription n°4, il est par contre définitivement absent dans l’inscription n°6 (peut-être par omission).

L’existence continue de la bibliothèque du Ptolemaion au Ier s. a été présupposée par les chercheurs. Il est cependant possible qu’elle ait disparu quelques années avant d’être refondée au milieu du Ier s. av. J.-C. Cela pourrait d’ailleurs expliquer la présence de « classiques » parmi les livres donnés par les éphèbes dans une inscription des années 40 av. J.-C.


« (Ils ont dédié des livres à) la bibliothèque du Ptolemaion, (conformément au décret que) Métrophanès
(a proposé : ...) d’Euripide, (...), l’Iliade, ... »

[— βυβλία ἀνέθηκαν —— εἰς τὴν ἐν Πτολεμαί]ωι β[υβλιοθήκην κατὰ τὸ ψήφισμα ὃ Μητ]ροφάνης
[— εἶπεν — — — — Εὐ]ριπίδ[— — — — τὴ]ν Ἰλιάδα ...

Inscription n°5


Les œuvres d’Euripide et d’Homère faisaient en effet partie des bases de l’éducation antique. Il apparaît donc surprenant de les voir apparaître aussi tard dans le fonds d’une bibliothèque à visée pédagogique. Ce décret pourrait indiquer la reconstitution d’un fonds disparu, lors de la refondation de la bibliothèque, ou le remplacement d’ouvrages de base endommagés.

La fin de la bibliothèque

On ignore quand la bibliothèque du Ptolemaion disparut. La dernière attestation que nous fournit l’épigraphie remonte à 38/37 av. J.-C. Il serait néanmoins prématuré d’en conclure une disparition de la bibliothèque à cette période. En effet, cette inscription est également le dernier décret éphébique connu pour Athènes. Déjà dans ce document, on voit s’amorcer un glissement dans la nature des monuments éphébiques. A l’époque impériale, ces derniers n’étaient plus le fait de la cité, mais de personnes privées : les éphèbes eux-même, le cosmète, ou un riche évergète. Ils n’enregistraient plus que la liste des éphèbes de l’année, sans aucune mention de leurs activités. 


 

Bibliographie

  • Burzachechi M., 1963, ‘Ricerche epigrafiche sulle antiche biblioteche del mondo greco’, Rendiconti della Academia nationale dei Lincei XVIII, p. 75-96. (inscriptions A1-6, p. 82-87).
  • Perrin-Salminadayar E., 2007, Education, culture et société à Athènes. Les acteurs de la vie culturelle athénienne (229-88) : un tout petit monde, Paris, T.29 (p. 222), T.33 (p. 241) et T.34 (p. 242).
  • Perrin-Salminadayar E., 2004, ‘L’éphébie attique de la crise mithridatique à Hadrien : miroir de la société athénienne ?’, in S. Follet (ed.), L’hellénisme d’époque romaine. Nouveaux documents, nouvelles approches (Ier s. a. C. – IIIe s. p. C.), Paris, p. 87-103.
  • Platthy J., 1968, Sources on the earliest Greek libraries, with the testimonia, Amsterdam, n°29-35.

Inscriptions mentionnant la bibliothèque

  1. Décret de 116/5 av. J.-C. – IG. II2 1009, complété par B. Meritt in Hesperia XVI, p. 170, n°67 ; Burzachechi, n°1 ; Platthy, n°29 ; Perrin-Salminadayar, T.29 : première mention du don de livres à la bibliothèque par les éphèbes (cf extrait ci-dessus; inscription).
  2. Décret de 96/5 av. J.-C. – IG. II2 1029 ; Burzachechi, n°2 ; Platthy, n°30 ; Perrin-Salminadayar, T.33 : première mention de la bibliothèque en relation avec le Ptolemaion (inscription).
  3. Décret des années 90 av. J.-C. (98/7 ou postérieur à 94/3 ?) – G. II2 1030 ; Burzachechi, n°3 ; Platthy, n°31 ; Perrin-Salminadayar, T.34 : inscription très fragmentaire. Le don de livres à la bibliothèque fait partie des restitutions proposées l. 36-37, à partir de l’inscription n°2.
  4. Décret de 46/45 av. J.-C. - G. II2 1040 complété par O. Reinmuth, Hesperia XXXIV, p. 257 ; SEG 22 :111 ; Platthy, n°32 : La mention du don de livres est très largement restituée l. 32 (inscription).
  5. Décret daté entre 47/46 et 43/2 av. J.-C. av. J.-C. – G. II2 1041 ; Burzachechi, n°4 ; Platthy, n°33 : Le don de livres à la bibliothèque est largement restitué l. 23 ; la ligne 24 contenait le nom d’auteurs et d’ouvrages antiques (cf extrait ci-dessus; inscription).
  6. Décret de 41/40 av. J.-C. – G. II2 1042 ; Burzachechi, n°5 ; Platthy, n°34 : le don de livres est attesté fgt d, l. 1, malgré une formulation différente des autres inscriptions.
  7. Décret de 38/37 av. J.-C. – I.G. II2 1043 ; Burzachechi, n°6 ; Platthy, n°35 : dernière attestation épigraphique de la bibliothèque (inscription).

 

Auteur

Coqueugniot Gaëlle - mars 2018